PROLOGUE
Lettre d'Allemagne
Affaire familiale
6 septembre 2007 - Madame / Monsieur [Maire de Montignac]
Permettez-moi de vous soumettre une affaire assez peu ordinaire.
Elle se réfère à un ancien citoyen de votre commune, ou mieux dit, à ses descendants, ou ceux de sa famille, s'il y en reste.
En automne 1918 durant la Première Guerre mondiale, mon père, à l'époque sous-lieutenant de l'Armée Allemande et stationné en Alsace,
au cours d'une patrouille de reconnaissance surprit et tua un Capitaine français, du nom Vacquier et venant de Montignac.
[...]
Helmut Richter
Quand j'ai eu connaissance de cette lettre, étant l'unique petit-fils vivant d'André Vacquier, je pris contact avec son auteur pour le rencontrer, chez lui,
à Francfort.J'entrepris aussi des recherches, sur Internet, dans les archives de l'armée et dans celles de ma grand-mère, dans l'espoir de reconstituer ce passé oublié.
Surprise... il ne manque pas un seul bouton de guêtre ! Notamment, grâce à ses cinq cents lettres écrites au front, aux documents accumulés par quatre années de démarches menées par ma grand-mère, et le tout complété par les objets et les documents allemands que m'a donnés M. Richter fils.
J'en ai tiré trois livres, puis ce site mémoriel consacré à la Guerre de 14, dans lequel on trouve la reconstitution - précise - de sa vie... et de sa mort.
François Leroux
Site mémoriel
Ce site, dédié à la mémoire de tous les combattants de l'horrible guerre de 14-18, présente :Lettres de guerre
: livre édité fin 1917. Après une présentation de Pierre Maurice Masson, agrégé de lettres et de littérature françaises, dix ans professeur à l’université de Fribourg (Suisse), puis officier (mobilisé), tué par un éclat d’obus le 16 avril 1916, ce livre rassemble de larges extraits de ses lettres écrites au front, souvent dans une tranchée à quelques mètres de l’ennemi !- L'intégralité des lettres reçues par l'épouse d'André Vacquier, officier (mobilisé), mort au front le 30 août 1918, victime d'une
embuscade et porté disparu, puis les démarches entreprises par elle pour en connaître les circonstances, pour qu'il soit retrouvé, vivant
ou mort, pour faire transférer son corps dans le caveau familial, et pour obtenir la Légion d'honneur qui lui avait été promise de son
vivant.
Enfin, le surprenant épilogue, en 2007, 89 ans après l'embuscade. - Un appel à des contributions mémorielles et à des liens, afin de donner l'opportunité de témoigner à des descendants de victimes de cette guerre.
Quant à la réflexion mise en exergue dans l'en-tête, elle a été prononcée de nombreuses fois par l'officier allemand qui commandait l'embuscade qui causa la mort d'André Vacquier.
L'objectif premier des actions qu'il était chargé de conduire à l'époque, était de capturer, si possible vivant, des officiers afin de les interroger pour obtenir des renseignements sur le camp adverse.
Dans le cas présent, il s'ensuivit un corps à corps entre les deux officiers. Mon grand-père refusa de se rendre, ce qui lui aurait sauvé la vie. Il prit à la gorge son adversaire, plus jeune et plus menu que lui. Voyant son supérieur en grand danger, un des soldats allemands fit un premier tir de sommation dans le bras droit de mon grand-père, sans effet. Puis un second dans la tête, qui fut définitif.
J'ai pu recueillir plusieurs comptes rendus français, et un allemand, sur le déroulé de ce sinistre événement. Ces témoignages sont présentés dans le volet
2007d'André Vacquier.
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Pierre Maurice MASSON
Mon corps à la terre, mon cœur à la France, mon âme à Dieu
Pour ma vie militaire, elle est simple : je suis sur le front depuis le 2 août 1914 ; je suis parti sergent : voilà un an que je suis sous-lieutenant ; je viens d’être proposé à la dernière relève pour une citation ; et, très probablement, j’aurai mon second galon pour la soutenance. [... de thèse sur Jean-Jacques Rousseau !]Dans tout cela, rien
d’héroïquequoi que vous vouliez bien dire ; et le dernier de mes
poilus, que je suis fier de commander, vaut beaucoup mieux que moi ; mais je suis heureux d’être avec eux, d’être un des cent mille qui, chaque nuit et chaque jour, gardent le front inviolable, vivent la guerre, à la fois atroce et belle, et sont contents dans la tranchée, quelque dure qu’elle soit, parce qu’ils savent qu’en la défendant, ils défendent aussi la justice.
Comment, en menant cette vie, j’ai pu achever mon livre, le post-scriptum de mon Avant-propos vous le dira.
Extrait d'une lettre du 23 février 1916.
Dans sa lettre du 20 janvier 1918, mon grand-père écrit à sa femme :
J’ai commencé à lire un livre que je te recommande, écrit par un officier de la Territoriale qui a mené la même vie que moi, aux mêmes endroits, officier qui était professeur de littérature dans une faculté et qui a été tué l’an dernier : il a débuté comme sergent.
Titre :
Lettres de guerre – août 1914-avril 1916par Pierre Maurice Masson, avec préface de Victor Giraud et notice biographique par Jacques Zeiller. C’est fort bien écrit et très bien pensé, tu ferais bien de te le procurer. (Genre méditations dans la tranchée).
Et, dans sa lettre suivante, du 22, il lui écrit : Je continue à lire ces lettres de Masson dont je te parle dans ma dernière lettre : ce sont bien mes idées, les endroits où j’ai été, c’est fort intéressant pour moi et combien aussi sa femme devait te ressembler.
Je présente en PDF la première édition des
Lettres de guerre, celle que lut mon grand-père. Il existerait une nouvelle édition, augmentée de lettres inédites, parue en 1931.
La première version existe en deux exemplaires à la bibliothèque Sainte Geneviève - 10 place du Panthéon - 75005 Paris.
J'ai trouvé sur Internet une version numérisée par lecture optique mise à disposition par une université d'Ottawa (Canada). J'ai corrigé chaque fois que j'ai pu les coquilles inhérentes à ce procédé. Toutefois, je n'ai pas pu reconstituer certains mots ou noms, mais qui ne remettent pas en cause le fond et la forme des textes transcrits.
Remarque importante
Il y a un siècle, la langue sous ses différents composants était assez différente de celle d'aujourd'hui, ce qui a compliqué les transcriptions, manuelles pour les écrits illisibles ou les erreurs de la lecture optique. Les corrections nécessaires qui suivirent, tant manuelles que par correcteur orthographique, furent parfois hasardeuses. N'étant pas un linguiste, et encore moins chevronné, je réclame une certaine bienveillance de la part des lecteurs.
Deux exemples parmi beaucoup d'autres :
j'ai été / je suis alléet
Causer, causer avec: je fus surpris quand je l'ai trouvé de multiples fois employé par mon grand-père dans ses lettres ; je l'ai évidemment conservé dans mes transcriptions.
Mais quel ne fut pas mon amusement quand je l'ai trouvé aussi à dix reprises dans les extraits des lettres de l'agrégé de français Pierre Maurice Masson... le huitième étant accompagné de la remarque (faite en 1917) d'un des auteurs du livre, grands lettrés eux aussi : On s’étonnera peut-être de trouver cette expression sous la plume de P Maurice Masson. Mais il avait rencontré
causerdans Jean-Jacques Rousseau… depuis lors qu’on pouvait à la rigueur l’accepter.
Revenons à l'auteur des lettres. Wikipédia dit de lui :
Pierre Alexandre Maurice Masson naît à Metz le 4 octobre 1879 pendant l'annexion allemande...
Il est élève de l'institution Saint-Sigisbert à Nancy, puis du lycée parisien Louis-le-Grand (internat du foyer Bossuet) en rhétorique supérieure. Il est reçu au concours de l'École normale supérieure en 1899. Durant l'année 1899-1900, il effectue son service militaire à Nancy.
En 1903, il est reçu à l'agrégation des lettres. Se préparant d'abord pour l'École d'Athènes, il choisit finalement les lettres françaises et part comme professeur de langue et littérature françaises pour l’université de Fribourg en Suisse en 1904.
Gustave Lanson, son professeur à l'École normale supérieure, a évoqué la figure de son étudiant, alors âgé de 23 ans :
"De toutes les pertes que la guerre a infligées à l’École Normale supérieure, à l’Université, et aux lettres françaises, il en est bien peu qui soient aussi douloureuses que celle de Pierre-Maurice Masson. Je l’ai connu en 1902, quand il entra en seconde année d’École Normale. Il appartenait à une promotion éclatante de promesses, qui comptait, dans la section littéraire, Leroux, mort aussi au champ d’honneur, Hazard, Terracher, Villey.
Jamais promotion n’a donné plus de joie à un maître, et plus de mal. Ils étaient là cinq ou six, qui avaient déjà une étendue de savoir et une précision de méthode dont on était étonné : Masson plus qu’aucun autre. On était frappé de l’aisance fière avec laquelle il portait un lourd harnais d’érudition, et de ce qu’il savait garder de vive spontanéité dans la plus sévère discipline. Avec ces cinq ou six gaillards, avec lui surtout, il ne fallait pas s’endormir. Il fallait tout savoir, avoir tout vu, tout prévu, être prêt à faire front aux questions les plus embarrassantes, à discuter les suggestions les plus neuves."
Le 6 juillet 1906, à Paris (VIe arr.), il épouse Marie Adèle Marguerite Zeiller. Elle est la fille du paléobotaniste René Zeiller, mort en novembre 1915, et la sœur de l'historien antiquisant Jacques Zeiller. Celui-ci est l'auteur de la notice biographique consacrée à son beau-frère dans les Lettres de guerre de ce dernier qu'il fait paraître en 1918. Marie Adèle Marguerite Zeiller, épouse de Pierre Maurice Masson, est morte en mars 1936.
Par son mariage, Masson se lie à une famille qui compte aussi le philosophe catholique Léon Ollé-Laprune (1839-1898), grand-père maternel de son épouse.
Pierre Maurice Masson est mobilisé en août 1914 comme sergent au 42e régiment territorial d’infanterie de Toul et envoyé sur différents champs de bataille du secteur sud du Saillan de Saint-Mihiel. Le 1er janvier 1916, il est nommé sous-lieutenant au 261e régiment d'infanterie, puis lieutenant à la 22e compagnie. Il est tué dans les tranchées de Flirey, face au bois Mort-Mare, le dimanche matin 16 avril 1916.
Il devait soutenir ses deux thèses de doctorat le 4 mars 1915 en Sorbonne grâce à une permission. Mais celle-ci fut annulée au dernier moment et l'université apposa cette affiche : "M. Masson étant retenu au front, la soutenance de thèse est renvoyée à une date ultérieure".
Il avait évoqué cet événement dans une lettre à Victor Giraud : "J'ai pensé à moi hier en lisant Le Temps : un lieutenant d'artillerie, tué en Champagne, et qui avait donné le bon à tirer de sa thèse la veille de l'attaque, a été récemment proclamé docteur en Sorbonne après sa mort. Me voilà sûr, au moins, de ce doctorat posthume [...]
La sorbonique (sic) cérémonie aura lieu le samedi 4 mars [...] Admirez la précision, l'imprudente précision ! Avouez que c'est tenter les grenades et les torpilles, au-devant desquelles je remonte cette nuit. Espérons qu'elles auront un peu de respect pour la "culture". En attendant, le monstre est là, c'est ma thèse que je veux dire."
La soutenance de thèse, in absentia, eut lieu le jeudi 11 mai 1916, présidée par le doyen de la faculté des lettres de la Sorbonne. Les deux thèses furent examinées par Gustave Lanson et Gustave Michaut.
Sa tombe se trouve au cimetière civil du village de Flirey en Meurthe-et-Moselle.
En 1918, il existait un Cercle Pierre Maurice Masson animé par les professeurs français de l'université de Fribourg.
Ainsi va la destinée. Comme d'autres avant et après lui, il fut proclamé deux fois docteur d'université à titre posthume !
Ses lettres sont d’autant plus intéressantes qu’elles sont très complémentaires de celles de mon grand-père. Ils combattaient dans la même zone à cette période. Il y décrit la vie dans les tranchées, ce qu’il n’était pas autorisé à faire, et que ne faisait pas mon grand-père... sauf dans une lettre qui n'est pas parvenue à destination : censure ?
Il y parle aussi des états d’esprits de ses collègues Suisses, qui se divisaient entre pro Français, pro Allemands et neutres, comme leur pays, du moins officiellement... mais tous bien heureux de ne pas être mêlés à cette horrible guerre !