Hommages
 

TÉMOIGNAGES 14-18
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Il était horrible d'être face à face, se regardant droit dans les yeux et de se dire : je dois le tuer, sinon il me tuera. Je ne l'oublierai jamais.

 
 

HOMMAGES

Les "Poilus"

Très souvent, dans leurs lettres, aussi bien P-M Masson que mon grand-père expriment leur admiration pour le comportement de leurs hommes, les fameux "Poilus". Je vais leur laisser la parole avec quelques citations, en commençant par la plus complète de P-M Masson dans une lettre à sa femme du 20 janvier 1916. Il est dans les tranchées du front près de Flirey, à 15 km à l'ouest de Pont-à-Mousson et, tous les jours, il a plusieurs morts et blessés :

Je viens de faire ma ronde. Les guetteurs sont là, attentifs, accoudés au parapet. Un rayon qui filtre entre deux nuages fait reluire le cimier du casque et rend à la peau de mouton, grise et souillée, sa blancheur d’antan. Les chers poilus ! Ils ne savent pas sans doute tout ce qu’il y a de grâce et de force dans leurs silhouettes de bons soldats au guet. S’il n’y avait pas le sifflement intermittent de la balle, on pourrait se croire dans quelque prestigieux théâtre ; et l’on est presque tenté de prêter l’oreille à la chanteuse invisible qui viendrait interpréter l’étrange beauté de cette nuit en armes. Mais aucun chant ne monte sur ce chaos. Il n’y a que le silence. Ah ! ce silence de la tranchée, comme il est émouvant, parce que c’est le silence de l’homme au guet, qui attend l’ennemi, et qui est prêt à bondir sur lui. Quand les bombes et les grenades pleuvent, on voudrait bien le calme du silence ; mais dès qu’il arrive, on se demande ce qu’il cache et ce qui va le rompre. Je voudrais, dans ces heures apaisées de la nuit, te prendre avec moi pour ma ronde… Je te vois t'arrêtant avec moi près des sentinelles. Je crois que tu serais incapable de leur parler, mais tu te retiendrais pour ne pas les embrasser. Et tu aurais raison. Quelle dure vie, mais quelle belle vie ! Confusément ils le sentent ; ils sentent que ce qu’ils font est grand et noble : et ils oublient presque le danger incessant de leur poste pour ne plus sentir que la beauté du devoir qui les y cloue.

Dans une autre lettre : Quand on voit l’héroïsme sans phrase du simple soldat de deuxième classe, on aurait honte de demander pour soi une compassion qu’on mérite si peu.

Même les "apaches" (voyous / contestataires) sont, au front, parmi les plus remarquables !

Les officiers du front

Eux aussi, du moins la plupart d'entre-eux, ont été remarquables. En témoignent plusieurs lettres de sous-officiers.

Du sergent Valois, 22e compagnie du 26e régiment d’infanterie parlant de P-M Masson :
Vivant de la même vie que ses hommes, soumis aux mêmes dangers, un officier sur le front est au bout de peu de temps connu et jugé. Le lieutenant Masson était avec nous depuis le début de cette année, près de quatre mois. Ce temps a suffi pour permettre à tous de le bien connaître, de l’estimer, de l’aimer. J’avais quitté depuis huit jours le régiment, lorsque l’épouvantable malheur est arrivé, jetant la consternation générale dans la 22e compagnie. Je l’ai su, une profonde tristesse s’imprima aussitôt sur tous les visages de ces hommes habitués aux deuils ; les quelques mots qu’ils échangeaient étaient pour déplorer la perte de ce chef qui avait gagné leur affection et mérité de leur part une absolue confiance. Perte irréparable, car les officiers de cette trempe sont bien plus rares à présent qu’au début de la guerre. Deux jours après, incidemment, par un blessé de la compagnie, la nouvelle douloureuse arrivait jusqu’à moi. Je me refuse à croire, une telle chose est impossible. Hélas ! je sais bien au contraire que les plus courageux sont toujours les mieux exposés. Et une atroce angoisse me saisit à la gorge. Oh ! comme de tout mon cœur je compatis à votre souffrance, et comme ma propre douleur m’aide à la bien comprendre ! Ceux des tranchées savent combien vite se révèle un homme tel qu’il est, à la lumière du danger, et comment les âmes faites pour sympathiser ont tôt fait, là-bas, de se reconnaître. Fruit d’une mutuelle estime, l’affection naît sans effort et se livre tout aussitôt ; elle n’a même pas besoin de s’exprimer en paroles, elle apparaît si nettement à ceux qu’elle unit ! Dès les premiers jours, M. Masson m’avait pris en affection, affection que le temps rendit plus profonde encore. La différence de notre situation lui imposait une réserve indispensable, sans aucune gêne d’ailleurs ; mais il avait des moyens d’une exquise délicatesse pour me témoigner son amitié. Je le vois encore accourir auprès de moi avec anxiété lorsque je ne suis que très légèrement atteint. C’est de la première occasion qu’il profite pour venir me voir à l’hôpital, les mains encombrées de ces gâteries qu’un père seul songerait à porter à son enfant, et ce jour-là, dans l’accomplissement de cet acte de bonté, de charité, je le voyais pour la dernière fois. Sensible par-dessus tout à la bonté, comment aurais-je pu ne pas aimer M. Masson ? Oh ! oui, je l’aimais beaucoup, d’une affection respectueuse, forte et en quelque sorte filiale ; le chagrin qui m’oppresse actuellement ne peut être comparable qu’à celui éprouvé pour la perte d’un très proche parent. Le deuil qui vous atteint si cruellement me frappe aussi d’une façon terrible.
Plus que les autres, en effet, j’étais à même de reconnaître et d’apprécier les qualités du lieutenant Masson. Aux tranchées en particulier je fus constamment auprès de lui tant qu’il fut simple chef de section ; à chaque instant j’eus sous les yeux ce modèle de conscience dans l’accomplissement du devoir et de bonté envers tous.
Militaire par la force des choses, ainsi que la grande majorité des Français, le lieutenant Masson accomplissait son devoir militaire avec une conscience aussi parfaite que s’il eût été officier de carrière. Voyant juste, il reconnaissait là, pour le présent, son devoir d’état et faisait tout céder à celui-ci que la religion nous apprend à être notre premier devoir. Il n’était pas de ceux qui, du fond de leur abri, donnent des ordres incertains, laissant à leurs inférieurs le soin de les faire exécuter. Toujours dehors au contraire, surveillant lui-même le travail des hommes, il ne s’accordait même pas le repos nécessaire. Le jour, la nuit, on le trouvait circulant dans la tranchée pour se rendre compte de la vigilance des sentinelles et de l’état de nos moyens de défense.
Mais dans un secteur comme Flirey, il n’y a de sûreté relative que dans les abris. Hors de là le péril est permanent. Il fallait donc au lieutenant Masson un courage peu ordinaire. Sur cette question-là, d’ailleurs, il avait bien trop peur de rester en deçà pour ne pas franchir les limites fixées par le simple devoir. Que de fois je l’ai vu, même commandant de compagnie, aller et venir, debout, en terrain complètement découvert, pour encourager de sa présence un petit groupe d’hommes se livrant à un travail plus particulièrement dangereux ! Si un seul de ses hommes était exposé, il se croyait pour ainsi dire tenu en conscience de s’exposer avec lui.
Il n’était certes pas insouciant du danger, mais sa grande force d’âme le lui faisait affronter volontiers par un esprit de devoir poussé en cela jusqu’au scrupule, et aussi par bonté d’âme. Son cœur si tendre l’invitait en effet à donner aux hommes plus qu’une sympathie abstraite et à se rapprocher le plus près possible d’eux en partageant leurs dangers et leur souffrance. Il me le confia un jour, mais je m’en étais aperçu, la nouvelle ou la vue d’un homme tué, blessé simplement, bouleversait tout son être. Bonté encore, lorsqu’il recevait des vêtements chauds ou du linge et les faisait distribuer. Il aimait aussi à offrir tabac, cigares, menus cadeaux qui font tant de plaisir au soldat. Mais comment pourrais-je vous énumérer tous ses traits de bonté ? Chef à l’humeur toujours égale, une aimable et fine plaisanterie sortait parfois de ses lèvres, jamais de parole dure.
Cette attitude inaltérable de bienveillance, jointe à un extérieur austère qui imposait de prime abord le respect, lui donnait sur son entourage un grand ascendant moral et une autorité peu commune. Il aurait pu obtenir de nous ce qu’il aurait voulu, car nous avions en lui une absolue confiance.
Tel était notre commandant de compagnie, ce chef au cœur si bon, à l’âme si généreuse et si noble. Aucun de nous ne saurait l’oublier, car l’action qu’il exerçait sur nous est de celles qui ne se limitent pas à la tombe. Son influence se fera sentir sur notre vie tout entière, nous invitant à faire comme lui, courageusement, joyeusement, héroïquement s’il faut, tout notre devoir. Pour ma part, je le considère comme le plus bel exemple à suivre, et de ce modèle tant aimé un seul trait ne saurait disparaître de mon souvenir, de mon cœur.
Malheureusement, si j’ai pu apprécier à fond ses qualités militaires, il ne m’a guère été donné, au milieu des agitations de notre vie actuelle, d’éprouver comme je l’aurais voulu la bienfaisante influence de son esprit cultivé à un degré si éminent. Comme il m’eût été doux, le cauchemar de cette guerre terminé, de me reposer d’une activité matérielle excessive et de donner enfin à mon esprit des occupations d’un autre ordre sous la direction de cette haute intelligence. Avec quel amour il se serait remis, lui aussi, à son ancienne vie dont la privation lui avait révélé tous les charmes…
Tous ces rêves, les voilà à jamais brisés cependant. Que dis-je ? Les nôtres, oui ; mais les siens, non. Plus que moi vous savez où il puisait la force d’accomplir aussi généreusement son devoir, d’accepter de si grand cœur tous les sacrifices. C’est dans sa vertu de religion, dans sa foi. Le parfait chrétien qu’il était ne pouvait placer ailleurs qu’en Dieu l’objet dernier de toutes les aspirations de son âme. Or, je l’affirme sans crainte, son plus grand désir se trouve réalisé, car il a trouvé Dieu.
Et c’est là qu’il nous faut aller chercher celui que nous aimons.

Bel hommage !

Lettre (extrait) du sous-officier Pierre Dennaud à Madame Vacquier, Limoges, 22 mai 1920

J’ai reçu votre lettre, et bien qu’il me soit pénible de revenir sur la triste affaire du ruisseau du Kletterbach, je croirais manquer au plus élémentaire devoir en vous refusant ces quelques détails qui vous apporteront peut-être une légère consolation.
Tout d’abord, laissez-moi vous dire combien j’estimais le Capitaine Vacquier qui était soldat et pas du tout militaire. Il avait notre estime à tous, quoi qu’il fût d’un abord un peu froid, il s’occupait de ses hommes, s’inquiétait des détails et de leur nourriture, il n’en faut pas davantage pour être aimé du soldat, aussi n’ai-je entendu dire de lui que du bien. Je le connaissais depuis le mois de mars, époque à laquelle il arriva au 83e, je ne restais pas longtemps avec lui, car je fus détaché près du Commandant comme sous-officier de renseignements, malgré cela, pendant mon séjour à la compagnie, j’avais pu l’apprécier et je n’ai qu’à me féliciter de mes rapports avec lui.


Le sergent Pierre Dennaud était avec mon grand-père au moment de l'embuscade. Son compte rendu est donné dans le volet "Disparu".

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